Licence Creative Commons Conception continuée dans l'usage d'outils didactiques innovants au service de l'amélioration des apprentissages des élèves

11 octobre 2019
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Conception continuée dans l'usage d'outils didactiques innovants au service de l'amélioration des apprentissages des élèves

 

- Roland Goigoux, Professeur des Universités, Laboratoire ACTé, Université Clermont Auvergne

 

Si les scientifiques connaissent les leviers permettant d'améliorer les apprentissages des élèves, ils ne savent pas « comment faire pour que les professeurs intègrent ces avancées dans leur pratique » (Galand & Janosz, 2019). Trois principaux courants de recherche concourent à réduire cette ignorance : le premier porte sur la formation et le développement professionnel des enseignants, le deuxième sur les effets de la diffusion des bonnes pratiques validées par des recherches expérimentales, le troisième sur l’impact des réformes politiques en éducation. Mais les trois partagent peu ou prou les mêmes constats d’impuissance : 1° les actions de formation visant le développement professionnel des enseignants n’ont qu’un effet marginal sur les pratiques de classe et les acquis des élèves, 2° les interventions réputées efficaces peinent à s’inscrire dans la durée et à se diffuser à large échelle, 3° les réformes politiques échouent le plus souvent à faire évoluer les pratiques d’enseignement et la réussite scolaire des élèves.

Pour notre part, nous pensons qu’il est possible d’influencer durablement les pratiques des enseignants au profit des apprentissages des élèves qui ont le plus besoin de l’école pour apprendre (Cèbe et Goigoux, 2018). C’est ce que notre équipe s’efforce de faire depuis une vingtaine d’années dans le laboratoire ACTé de l’université Clermont-Auvergne en concevant et diffusant largement des outils didactiques novateurs qui sont des vecteurs du développement professionnel des enseignants notamment parce qu’ils proposent des scripts d’action précis et détaillés, cohérents avec les données scientifiques disponibles (critères décisifs selon Rowan et Miller, 2007).

Notre équipe intervient dans le champ de la didactique définie comme une science de l’intervention et de la conception (d’outils, de dispositifs d’enseignement et de formation, ou de curriculum) visant l’amélioration de la qualité du travail enseignant et des apprentissages scolaires. Notre programme de recherche est à finalité technique (identifier les caractéristiques des outils qui sont vecteurs d’amélioration et laissent des marges de manœuvre aux enseignants) et à finalité méthodologique (conceptualiser et conduire le processus de conception). Il associe les enseignants à la démarche de conception de leurs instruments en organisant, comme les ergonomes (Barcellini, Van Belleghem & Daniellou, 2013), un dialogue entre opérateurs et concepteurs au service du développement de leur activité. Il emprunte divers concepts et méthodes à la psychologie ergonomique (Leplat, 2000) et à l’ergonomie de conception (Pinsky, 1992 ; Daniellou, 2004) ; il repose sur une analyse fine des pratiques professionnelles pour construire et faire évoluer un modèle de l’utilisateur-enseignant (Rabardel & Pastré, 2005) qui complète celui de l’élève étudié par les sciences cognitives. Autrement dit, pour concevoir de nouveaux instruments, nous nous efforçons de tenir compte des connaissances scientifiques sur les apprentissages scolaires mais aussi sur l’activité d’enseignement et sur les savoirs des professeurs, leurs publics et leurs contextes de travail. Nous nous démarquons ainsi des démarches applicationnistes issues des sciences cognitives qui ne prennent en compte que le pôle apprentissage et des démarches d’inspiration ergonomique qui ne s’intéressent qu’à l’activité du professeur sans prendre en compte la spécificité des contenus et des processus des apprentissages scolaires.

Nous faisons l’hypothèse que la qualité de la démarche de conception des outils détermine la réussite ou l’échec de leur diffusion. Le « passage à l’échelle » est le moment critique où des expériences réussies dans des conditions expérimentales extra-ordinaires par un petit nombre d’enseignants sont étendues à une population plus importante dans des conditions ordinaires (Odom, 2009 ; Fixsen, Blase et al., 2009 , 2013). Or, pour réussir à essaimer, les changements produits par les innovations doivent perdurer après le départ des chercheurs ou des accompagnateurs de l’expérience (Vaughn, Klingner et Hughes, 2000). Cette exigence nous conduira à soutenir qu’un outil bien conçu ne doit pas avoir besoin d’être accompagné pour être efficace, ce qui facilite sa diffusion. Par conséquent, les conditions expérimentales réunies pour évaluer ses effets (« prouver qu’il marche ») ne doivent pas être trop différentes de celles de son essaimage en conditions ordinaires (Biesta, 2007).

Coburn (2003) montre que la généralisation d’une innovation suppose un partage des croyances, des normes et des principes qui la sous-tendent. Diffuser les scripts didactiques et les matériaux associés ne suffit donc pas : pour « passer à l’échelle » avec succès, les caractéristiques des dispositifs doivent être intégrées aux schèmes professionnels de la communauté professionnelle à laquelle elle s’adresse et ne doivent plus être portées par des membres externes à cette communauté, les chercheurs notamment. Cette appropriation (« intégration partielle ou totale à la culture propre de l’acteur », Theureau, 2011) doit dépasser la simple acceptation tacite et se transformer en une approbation plus profonde, plus large et plus substantielle (McLaughlin & Mitra, 2001).

Selon nous, et ce sera le fil conducteur de notre contribution, le meilleur moyen d’arriver à ce résultat est de l’amorcer dès le début du processus de conception, en collaboration avec les enseignants, pour anticiper sa possible intégration à leurs habitus professionnels. En d’autres termes, les concepteurs doivent être attentifs aux continuités avec les pratiques existantes tout autant qu’aux ruptures introduites par l’innovation. Pour développer cette thèse, nous présenterons notre démarche de conception continuée dans l’usage et de notre cadre théorique puis nous illustrerons cette démarche en prenant appui sur la création d’un outil numérique d’enseignement de la compréhension de textes documentaires au cycle 3.

 Informations

  • Ajouté par : inspe INSPE (inspe)
  • Propriétaire(s) additionnel(s) :
    • Eric Hrehorowski (ehrehoro@u-bordeaux.fr)
    • Eric Tattevin (etattevi@u-bordeaux.fr)
    • Stephane Rocher (srocher@u-bordeaux.fr)
  • Mis à jour le : 15 octobre 2021 09:33
  • Chaîne :
  • Type : Conférence
  • Langue principale : Français
  • Public : Master
  • Discipline(s) :